Grands Angles
Colomb était-il blond ?
A loccasion du 500e anniversaire de sa mort, tour dhorizon des interrogations que suscite encore le célèbre navigateur.
Par François MUSSEAU
QUOTIDIEN : mercredi 1 novembre 2006
Madrid de notre correspondant
A mesure quavancent les recherches sur Christophe Colomb, le voile de mystère se fait plus dense sur celui qui, sil ne fut peut-être pas le découvreur du continent américain (des explorateurs scandinaves ou islandais, autour de lan mil, ou le Chinois musulman Zheng He, vers 1422, ont pu atteindre des côtes américaines), fut de science certaine le premier colonisateur. Sagissant dun personnage, peu connu avant 1492, qui a lui-même cultivé le secret durant son existence, il est forcément difficile de faire la lumière sur cette trajectoire humaine qui fonde lhistoire coloniale du Nouveau Monde et bouleverse le destin de lEurope. A loccasion du 500e anniversaire de la mort du célèbre navigateur qui, en dix ans, a fait quatre voyages aux «Indes» , des dizaines douvrages, de conférences, dexpositions (surtout à Séville et à Valladolid) et de symposiums ont pour objet la personnalité et la biographie de Colomb. Même si, de lItalie à lEspagne, cette commémoration passionne moins les foules que les spécialistes. Cest néanmoins loccasion de faire le point des connaissances sur cet homme qui aura laissé derrière lui quelques certitudes et un océan dinterrogations.
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* Quatre voyages aux «Indes»
Doù vient-il ?
Catalan, Corse, Portugais, Juif ? Comte galicien, fils du prince de Viana, lié aux Templiers (selon Mariano Fernández Urresti), voire marin né… aux Amériques ? Un nom en forme de cryptogramme cabalistique, ou inspiré de Guillaume de Casanove, un héros de lenfance portant comme sobriquets «Coullon» ou «Colonne» ? Les théories les plus diverses, et farfelues, saccumulent quant aux origines du navigateur. Plus les recherches avancent, moins on est sûr quil sappelait Cristoforo Colombo ce nom ne figure sur aucun registre et quil est né en 1 451 à Gênes dun père tisserand.
Pour en avoir le coeur net, le biologiste espagnol José Antonio Lorente semploie actuellement à comparer lADN dHernando (fils cadet de lamiral) avec celui de dizaines de possibles descendants aux Baléares, à Gênes, en Catalogne. Si lincertitude est telle, cest que lintéressé est un parfait inconnu avant 1486 et quil a toujours été mystérieux sur son passé, quitte à se contredire.
Les historiens sont toutefois certains que «Colomb», très probablement dorigine modeste et peu éduqué (même sil sait le latin scolastique), navigue depuis lâge de 9-10 ans. Mousse, il a probablement été corsaire (selon Consuelo Varela), ce qui expliquerait son soin de taire ses origines auprès des cours royales portugaise et espagnole.
A quoi ressemblait-il ?
Taille plutôt haute pour lépoque (environ 1,70 m), athlétique, blond aux yeux bleus, le cheveu blanc dès sa trentaine : personne ne remet en cause la description faite par son fils Hernando, et les attraits physiques du navigateur. Caractère bien trempé, ultra-ambitieux, avide de richesses, Colomb est unanimement décrit comme un fort en gueule doté dune volonté de fer, bourru, irascible et souvent dhumeur noire.
Autre certitude : sa famille passe par-dessus tout, même sil ne semblait guère attaché à la Portugaise Filipa Moniz, sa première femme. «Père magnifique» (Varela), il couvre des distances impensables pour mettre en lieu sûr ses fils, Diego et Hernando. Après ses trois premiers voyages, il se battra pour leur léguer sa fortune et ses titres. Quant à ses frères, en particulier Bartolomé, qui lépaule totalement dans son projet maritime, il leur voue une confiance aveugle.
Colomb, charismatique et éloquent, est un sensuel à succès. Il séduit les femmes avec facilité, y compris selon certains historiens la reine Isabelle de Castille, le principal soutien de son projet. Ses conquêtes féminines connues, souvent des aristocrates influentes et quil nhésite pas à laisser ensuite en plan, lui servent à sintroduire dans les hautes sphères du pouvoir.
Etait-il visionnaire ?
Aucun doute sur ce sujet : très tôt, au cours de sa trentaine, celui quon surnommera l«Amiral de la mer océane» a une vision. Celle, connue de tous, de rejoindre les fabuleuses terres de Cipango (Japon) et Cathay (Chine) via le ponant, louest, cest-à-dire par el mar tenebroso («la mer ténébreuse»), associée, à lépoque, à de terribles légendes. Cette vision, dont Colomb ne démordra jamais, va à contre-courant des convictions dalors. Dautant que le Portugal, la grande puissance maritime, descend avec succès les côtes africaines dans sa route orientale. Marin expérimenté (il a navigué de la Guinée à lIslande), esprit aventurier, Colomb aurait entendu parler (selon Manuel Fernández Alvarez) des expéditions dErik le Rouge, dErikson et de Karlsefni (1007) vers le Groenland et les Amériques. Et croit dur comme fer à la rotondité de la Terre, une théorie formulée dans lAntiquité. De nombreuses lectures le persuadent du bien-fondé de lhypothèse : Ptolémée, Marco Polo, le cardinal Pierre dAilly et le Florentin Toscanelli, qui parle de rejoindre les Indes en mettant le cap à louest. Toscanelli, avec qui il correspondait par lettres, lui assure que le voyage est «sûr». Les calculs de Colomb sont faux, qui situent Cipango à 4 500 km des Canaries. Sa chance : à cette distance sétendent les Antilles.
Quelle était sa force de persuasion ?
Sûr de son projet, encore lui fallait-il convaincre. A Lisbonne, entre 1476 et 1485, ce marin inconnu intrigue au sein de la cour, notamment grâce aux «relations» de sa femme Filipa. Il sattire avec habileté les faveurs de certains protecteurs, dont deux Juifs très influents, Abraham Zacuto et José Vizinho. Il obtient une audience auprès du roi portugais Juan II, mais se montre trop gourmand en exigeant le titre de gouverneur à vie de toutes les terres découvertes. En Espagne, il cherche obstinément le soutien des Rois catholiques, Isabelle et Ferdinand, qui tarderont six ans avant dappuyer son projet. Le déclic se produit, fruit dune cour patiente auprès de personnages qui ont loreille des rois espagnols, dont les franciscains Antonio de Marchena et Juan Pérez. Parallèlement, le navigateur offre ses services aux cours française et anglaise. En décembre 1491, la reine Isabelle cède à ses exigences (pourcentage sur les richesses, titre de vice-roi), mais refuse de lanoblir. Colomb, disent les historiens, est arrivé au bon moment : avec la chute de Constantinople (1453) qui la limite à lest, lEurope a besoin de nouveaux marchés (Alvarez). En particulier Isabelle et Ferdinand, qui, ayant achevé la Reconquête avec la prise de Grenade de 1492, cherchent à coloniser dautres terres.
Un tyran aux Indes ?
Sans conteste un grand navigateur, Colomb fut un déplorable colonisateur après les débarquements aux Bahamas et à «La Hispañola», aux Antilles, le 12 octobre 1492. En compagnie de ses frères Bartolomé et Diego, lamiral se conduisait manifestement en tyran, ne distribuait pas de vivres à des colons affamés et appliquait la justice sans jugement. Il réprima en outre les nombreuses révoltes et mutineries avec une rare cruauté. Cest ce qui apparaît à la lecture dun document inédit, trouvé par hasard il y a deux ans, «le plus important depuis un siècle», selon lhistorienne Consuelo Varela. Ce texte de 46 pages relate par le menu détail le procès de Colomb, instruit en 1500 (au terme du troisième voyage) par le commandeur royal Bobadilla, à lorigine de sa destitution en tant que «vice-roi et gouverneur des Indes». Les 23 témoins, dont des amis du navigateur, y dépeignent un chef impitoyable, emporté dans un fol autoritarisme. Plusieurs citent le cas dune femme qui eut la langue coupée pour avoir évoqué les origines modestes de lamiral. Daprès Consuelo Varela, les atrocités commises (coups de fouet, amputation du nez ou des oreilles, tortures et exécutions sommaires) étaient au moins aussi nombreuses à légard des premiers colons espagnols, soupçonnés de sédition, que des autochtones.
Un homme de Dieu ?
Jusqualors, on a seulement retenu limage dun homme de foi, dévot, portant la croix et les étendards de la chrétienté pour évangéliser les «peuplades impies du Nouveau Monde». Nombre dhistoriens lui prêtent même lillumination spirituelle dune sorte de prophète. Pour Fernández Alvarez, le navigateur était religieux au point de se croire «prédestiné par le Ciel et touché par la Divine Providence». Et aurait même entendu des voix lors de son quatrième voyage (1502-1504). Colomb, renchérit Denis Crouzet, croit en un monde qui sera implacablement gagné par la foi chrétienne, et serait même persuadé que le grand Khan (de lempire de Cathay) attend depuis longtemps larrivée de missionnaires pour évangéliser ses sujets. Ce dernier argument aurait été déterminant pour convaincre Isabelle la Catholique du bien-fondé de ses expéditions. Mais, si Colomb était homme de Dieu, il était plus encore, semble-t-il, un homme dargent. Le texte du procès de 1500 met en évidence un gouverneur sopposant au baptême des indigènes adultes. Ce sacrement empêchant de réduire ces indigènes en esclavage, «cela aurait supposé pour Colomb de grosses pertes économiques», dixit Varela. Sous sa férule, les Indiens ont souffert : entre 1496 et 1570 (selon Brinkbäumer et Höges), le nombre de natifs de La Hispañola (Saint-Domingue) chute à… 125.
Où est-il mort et enterré ?
Même sil a amassé de grandes richesses, lamiral de la mer océane finit sa vie dans lamertume et en disgrâce à Valladolid. Affaibli par une polyarthrite aiguë, il a déménagé dans cette capitale castillane pour réclamer, en vain, à la cour royale le rétablissement de ses titres de vice-roi et gouverneur des Indes. Jusquà son dernier souffle, sans doute pour grossir lhéritage, il prie avidement le roi Ferdinand de lui accorder dautres richesses liées à ses découvertes. En pure perte. Le découvreur des «Indes» séteint le 20 mai 1506 dans un couvent de Valladolid. Après sa mort, Colomb demeurera un grand voyageur jusquà la fin du XVIIIe, car son cadavre se promènera entre Séville, Saint-Domingue, peut-être Gênes et le Vatican. Daprès des tests ADN rendus publics en juillet par des biologistes espagnols de luniversité de Grenade, une vieille polémique opposant les autorités espagnoles et celles de la République dominicaine sur lemplacement actuel des restes du navigateur a été tranchée : les analyses indiquent que 20 % des restes de Colomb reposent sous le monastère sévillan de la Cartuja, et 80 % gisent dans le sous-sol de la cathédrale de Santo Domingo.
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