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Le malaise caché des Maghrébins de Grenade

La communauté émigrée redoute des réactions xénophobes
Le malaise caché des Maghrébins de Grenade

Grenade : de notre envoyé spécial Tanguy Berthemet
[25 mars 2004]

Officiellement, il ny a rien à signaler. Et pourtant le malaise de la communauté musulmane de Grenade est réel. Deux semaines après les attentats de Madrid, aucun des quelque 15 000 émigrés et les 3 000 étudiants maghrébins de la ville, tous ou presque Marocains, na été la cible dune vengeance par procuration. «La police na pas enregistré le moindre problème. Pas plus que nous ne confondons Basques et ETA nous ne mélangeons musulmans et al-Qaida», insiste Sebastian Perez, adjoint (Parti populaire) au maire de Grenade. «Les Marocains nont pas de raison de craindre quoi que ce soit ; et ici encore moins quailleurs.» Selon lui, le passé glorieux de la cité sous le drapeau de lIslam jusquà la chute du dernier calife en 1492 est un viatique pour tous les musulmans dAndalousie.

Le rappel de lépoque lointaine dal-Andalus fait sourire Noureddine Kadi. Cela ne va rassurer le président de HispaMaroc, lassociation des étudiants marocains. Il confesse avoir ressenti, au lendemain des attaques, une «vraie peur face à la réaction des Espagnols». «Nous avons honte de ce qui sest passé. Même si nous navons rien à voir avec eux, les responsables sont tout de même des compatriotes.» Aujourdhui, il se dit «rassuré». «Pour linstant, tout cest bien passé.»

Reste que, vendredi dernier, une manifestation de «musulmans contre la violence», à lappel de plusieurs associations locales, na pas réuni plus dune vingtaine de personnes devant la mairie. Historien spécialisé dans lIslam et professeur à luniversité de Grenade, Antonio Malpica y voit le signe «dun malaise» plutôt que la preuve dun «désintérêt» de la communauté arabe. «Ce sont des émigrés arrivés récemment. Ils ne rêvent que de travailler sans faire de bruit et de rester anonymes.»

Un anonymat qui est le meilleur moyen déviter de se trouver mêler aux tensions religieuses, latentes à Grenade depuis plusieurs années. Dans les franges les plus conservatrices de la ville, on accuse les musulmans de se livrer à une tentative de «Reconquista» financière dal-Andalus, le mythique eden perdu. On pointe les achats que lon dit «massifs» de maisons, dappartements et de terrains dans Grenade et on brandit la «preuve» : linauguration en grande pompe en août dernier de la Mezquita mayor. Sur les hauteurs de la vieille ville, face à lAlhambra et à un jet de pierre de léglise San Nicolas, le site choisi pour cette mosquée, la première jamais bâtie depuis 500 ans à Grenade est, il est vrai, symbolique.

Malik Abderahman Ruiz, porte-parole de la Mezquita se défend «de ces stratégies financières et toute cette mélancolie du passé» quon lui prête. Il veut juste que «lAndalousie renoue avec sa qualité de terre daccueil». Il ne souhaite pas «un retour des Arabes». Car, paradoxalement, Malik, comme tous les hiérarques de la mosquée, nest pas arabe. Espagnol, né dans une famille catholique, il a «rencontré lIslam» il y a une dizaine dannées. A Grenade, le cas nest pas rare. Ils seraient ainsi environ un millier à avoir suivi ce chemin dans les traces de Cheikh Abdelkader al-Morabit, autrefois Ian Dallas, un comédien écossais hippy et proche du maoïsme. Plus revendicateurs que prosélytes, les «mourabites» prônent un islam rigoureux, fortement teinté danticapitalisme.

Selon Antonio Malpica, les émigrés voient cette foi de convertis avec une méfiance discrète mais agacée. Bien peu montent prier à la «Mayor», préférant se rendre dans les salles de prières de la ville basse. «Les Marocains ne comprennent pas les positions des mourabites. Ils redoutent quà force de demandes, les convertis finissent par nuire à limage de tous les musulmans et à donner crédit au fantasme dune pseudo nouvelle Reconquista. Et les attentats du 11 mars ne font que renforcer cette appréhension.»

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